Jour 3 / 4 et 5 – Llahuar / Fure
--La blessure, l’orgueil et l’ego
– A mon amie Esther
Située tout en bas du canyon LLahuar ne comprend qu’une lodge et quelques maisons en hameau situées au-dessus au niveau de la route. Pour y descendre il faut emprunter un long chemin de cailloux que parcourent les ânes avec leurs charges pour ravitailler la lodge en nourriture et eau, transporter le sable qui servira au ciment de l’extension du bâtiment. D’ici quelques temps Llahuar sera aussi prisée pour ses piscines de sources chaudes que Sangalle pour son oasis.
Sur le chemin je croisais Maxime un grand canadien costaud d’une vingtaine d’années venu au Pérou avec un programme de visite plein à craquer en un temps record, comme tant d’autres backpakers. A les voir tous, j’étais bien contente de pouvoir prendre le temps. Plus de 90% des voyageurs sont pressés de tout voir, tout faire. Le temps ! Comment prendre le temps lorsque les contraintes et les obligations ne le permettent pas à part en commettant la folie que j’ai faite ? Ainsi maxime avait 2 jours et comptait passer à LLahuar juste pour voir, sans prendre le temps de se baigner dans les sources chaudes, monter à Fure dans la foulée, redescendre à Sangalle le lendemain et prendre l’avion depuis Lima pour l’équateur le surlendemain, d’où un autre programme démentiel l’attendait. Pour la première fois je fis un morceau de route avec quelqu’un en discutant. Mais très vite nous nous lâchions car je vis les ânes descendre en procession et que je voulais prendre le temps justement de les voir traverser le pont suspendu, passer devant moi et simplement suivre leurs pas. Je retrouvais Maxime à la Lodge un peu plus tard dans un bruit d’outils de chantiers et d’un poste de radio qui émettait à tue-tête la chanson « Arriba Pérou ! », comme partout d’ailleurs ! Devant un verre d’eau qui valait son pesant d’or nous échangions au sujet de nos treks dans la Colca. Bien vite, il partit pour Fure afin d’y être avant la nuit.
Je m’installais dans ma cabane, enfilais mon maillot de bain et parti me baigner dans ce petit paradis verdoyant en contrebas de tout ce bruit. Il n’y avait personne, tout le monde était au bar, les 4 piscines étaient à moi ! Deux d’entre elles étaient à 25°, les deux autres à 38°, le rio à 8°…l’embarras du choix ! J’y passais le reste de la journée en les essayant toutes et en pédalant lentement pour faire passer les courbatures, avalant le paysage des yeux jusqu’au coucher du soleil. Comme il était bon lorsque la nuit tombât humide et fraiche de baigner encore à 38° avec pour seul bruit l’eau du rio Colca qui s’écoulait !
Vers 19h je regagnais le bar, ses bruits, sa sempiternelle chanson et ses voyageurs. Des italiens et des Français en majorité. Je dinais aux côtés d’un couple qui s’était formé en voyage. Ils affirmaient eux même ne pas aller ensemble et ne pas se supporter mais il leur semblait plus facile et moins cher de voyager ensemble et de partager les frais de lit. Lui m’avait interpellé parce que je prenais une photo qui selon lui ne valait pas le coup, c’est ainsi que nous avions entamé la conversation. Comme toujours chacun narrait son périple et échangeait les bons ou les mauvais tuyaux. Ce qui s’avérait être la meilleure source d’information que le guide du routard lui-même. Juliette, 26 ans avait fait la traversée depuis la France en Cargo. En tant que journaliste, elle avait vendu des articles au sujet de son voyage, ce qui avait considérablement réduit les frais qui s’élèvent jusqu’à 100€ par jour.
Nous parlions justement du trek de la Laguna 69 lorsqu’elle déclara que le trek était facile, qu’elle l’avait fait en 2H. Bien ce ne soit certainement pas vrai puisqu’il en faut au moins trois pour un bon randonneur (pour monter) selon n’importe quel guide, quelque chose en moi la crut sur l’instant. Et je me sentis minable. D’évidence je n’avais pas les moyens de mes prétentions. Je me revoyais m’arrêtant à tout bout de champ et peiner avec l’altitude. Ce sentiment d’infériorité se colla en moi comme une sangsue et je ne parvenais pas à m’en défaire. J’avais beau me dire que je devais être fière de moi pour l’avoir fait malgré tout, je m’enfonçais dans un sentiment de « minabilité ». Plutôt que de continuer à patauger, j’allais me coucher en m’accrochant la petite phrase « ça passera », j’avais beau regarder ma pensée, je ne parvenais pas à m’en détacher. Elle était là à s’enfoncer, à prendre de la place sans que je l’y ai invitée. Je me détestais encore plus de parvenir à prendre un peu de hauteur, à me raisonner, relativiser, sans parvenir à la vaincre. Elle était plus forte que moi.
Je me levais au matin sous un radieux soleil sans que la sangsue ne se soit décollée. Je rangeais mon sac pour rentrer, déçue de moi, de retourner d’où je venais avec cette sensation tellement désagréable alors que j’avais vécu de si jolies choses. Et puis quelque chose en moi me rappela que j’avais le temps. Que rien ne m’obligeait à repartir maintenant sur cette impression. A la bifurcation pour remonter à Cabanaconde je changeais d’un seul coup d’avis et pris le chemin de Fure. Il me fallait laver ces pensées et même si j’en avais marre, je devais marcher. Depuis le début que je parlais de Fure, j’avais eu tous les avis. Que la route était coupée, que les cabanes étaient fermées et leur contraire. Je ne savais pas à quoi m’en tenir. A cet instant tout m’était égal. J’étais prête à dormir là-haut avec ma couverture de survie et à avaler mes barres de céréales en guise de diner. Il y aurait bien une grotte, un rocher, un creux pour me servir d’abri, je faisais confiance au terrain.
La montée était plus spectaculaire que toutes les autres encore. La montagne s’organisait en terrasses avec des endroits ombragés, des arbres, des ruisseaux, des falaises à couper le souffle dont un faux pas m’aurait précipité en bas, des cabanes de terre abandonnées, des glissements de terrain à 80° à traverser. Peu à peu le chemin ravalait tout ce qui m’habitait. Je ne portais plus de jugement sur ce que je faisais ou comment je le faisais, ni même qui j’étais. Le chemin s’en moquait bien ! Il était là et je faisais partie de lui en cet instant. Je me régalais, je n’étais pas assez grande pour contenir tout ce qu’il y avait de plaisir en moi à chaque pas.
Alors que je n’avais croisé personne depuis mon départ, je tombais nez à nez sur un sentier étroit le long de la falaise avec Walter qui descendait. Il se présenta tout étonné de voir monter quelqu’un et m’expliqua que c’était lui qui tenait les cabanes à Fure. Qu’il ne voyait que de rares voyageurs là-haut et que justement il descendait pour une réunion de famille pour 2 jours. N’étant pas là, il n’y aurait pas de repas. Je lui souris largement à la seule idée d’être toute seule là-haut devant l’imposante cascade. Du moment qu’il y avait une rivière, il y avait de l’eau et c’était suffisant. Il me déconseilla de la boire me révélant qu’il y avait une mine d’or plus haut encore et qu’ils y déversaient des produits chimiques qui la rendaient impropre à la consommation. Je m’enquis des nouvelles de Maxime qui était parti la veille pour Fure. Il ne l’avait pas vu ! Avait-il changé d’avis ? Rebroussé chemin ? Pourquoi ? Lui était-il arrivé quelque chose ? Walter tout heureux que je ne le fasse pas remonter à Fure pour mon seul plaisir au détriment du sien, m’indiqua où se trouvait la clé de la cuisine afin que je me prépare un thé ou un café au matin bien qu’il n’y eu rien à manger. Et je reparti.
Un gros village encaissé dans les montagnes fut ma prochaine étape. Il s’agissait de LLatica. On devinait ici d’anciennes restanques et les cultures de cactus. Une vieille église était en train d’être restaurée et perdait tout son charme. Ici encore l’unique langue était le Quechua. Je croisais un villageois qui me conduit chez une femme en habit typique affairée à dépecer son poulet dans une bassine d’eau dans son jardin. Elle m’offrit un verre d’eau. Là aussi la chanson Arriba Peru résonnait. C’était plus qu’un mantra ! Je restais un moment à la regarder faire, puis me sentie gênée de l’observer et me sauvais à nouveau vers les montagnes.
La dernière heure de marche serait comme toujours la plus éprouvante. Le ciel s’assombrissait, il me fallait me dépêcher d’arriver avant la pluie qui semblait vouloir arroser la Colca.
Enfin arrivée devant le pont qui surplombait la rivière et la cascade je constatais qu’il était barricadé. Il manquait des planches au pont, d’autres étaient pourries. Il me fallait traverser la rivière à pied. Je tentais de la jouer en mode chamois et passer de pierre en pierre mais mon pied glissa. Et je me retrouvais en quasi grand écart à un mètre de la chute d’eau. Il n’était pas temps de jouer la mariole mais de traverser les pieds dans l’eau. Baskets trempées je parvenais de l’autre côté sans autre incident et parcouru les derniers mètres jusqu’à la fameuse Fure.
C’était plutôt moche. La destination devenait un prétexte, le chemin était toujours bien plus beau que le point d’arrivée… Le lieu ne me plaisait pas. Les montagnes à ce seul endroit étaient quelconques, le village était déglingué, comme abandonné. Je ne m’y sentie pas bien mais il était tard et je n’avais pas d’autre choix que de rester. Je partis en quête des cabanes et en découvris 4 sans électricité, munies chacune d’un seul lit et des couvertures d’alpagas que je ne regardais plus depuis Malata avec autant d’émerveillement. Le cabanon qui faisait office de cuisine était en réalité l’unique pièce de vie de Walter dans laquelle il y avait son lit qui faisait aussi office d’armoire. J’y déposais 20 soles (le prix de la chambre) + 10 pour la bière que je m’offris (soit au total moins de 10€). Car si dans la Colca il n’y a parfois rien à manger ni d’électricité, on trouve toujours une bouteille de bière ! J’en profitais pour lui emprunter ses tongs afin de mettre mes pieds au sec. Un peu plus loin se trouvaient une douche et des toilettes. Mais rien ne fonctionnait, l’eau ne coulait pas et moi je n’étais pas Mac Gyver ! Qu’à cela ne tienne, j’avais des lingettes dans mon back pack, celles placées dans la catégorie « au cas où » ! Rien ne me dérangeait ici sinon l’énergie du lieu. Je m’adossais à ma cabane avec ma bière, ma barre de céréales, mon mp3 et la grosse couverture d’alpaga devant le triste spectacle des montagnes qui se recouvraient de nuages. J’envoyais dans mon mp3 le cd de la Voix tibétaine résonner dans toute la montagne pour harmoniser tout ça avant d’aller me coucher. Un gros chat noir miaula vilainement en sortant d’une autre cabane. Au fil des chants il s’approcha puis vint se coucher sur mes genoux. Quand je rouvris les yeux délassée et confiante, je vis que les nuages avaient quitté les lieux. Ils remontaient lentement le long des parois tout comme ils étaient venus. Un condor apparu. La nuit tombait rapidement, j’avais juste le temps de me coucher toute habillée avant de ne plus rien voir.
A 5h le jour se leva et moi aussi. J’avais entamé la descente depuis au moins 1h et fit une pause pour concevoir ma première vidéo quand Maxime déboula du chemin ! Il avait mis 2 jours pour faire le trajet que j’avais fait dans la journée d’hier, raison pour laquelle Walter ne l’avait pas vu. Lui avait dormi un peu plus loin vers une autre cascade que je m’étais finalement refusée à aller voir. Il me montra des photos de la cascade et d’un étrange lieu qu’il découvrit. Dans une maison de pierre sans porte ni toit se trouvaient entassé vulgairement une trentaine de squelettes humains.
Nous repartîmes ensemble. Les grandes enjambées de Maxime lui permettaient d’avancer vite. Plus vite que moi. Bientôt il me dépassa à grandes foulées et creusa l’écart entre lui et moi au point que je ne le vis plus. Après chaque montée je m’arrêtais à nouveau pour reprendre haleine. C’était le test. Cette fois je m’en foutais, j’allais comme j’allais, je ne me sentais plus minable.
Je pouvais rentrer.
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sylvia (mardi, 16 janvier 2018 17:15)
Merci pour ces beaux moments. Tu me donneras la marque de tes chaussures car pour une fille sans entrainement, tu me semble drôlement confortable. vivement la suite. Bizzz