Jour 2- Malata /Coshnirwa /Tapay
- Le passé est un brouillon
J’arrivais à Malata en fin de journée plutôt déçue que mon intuition m’ait fait défaut au passage de LLahuar. A moins qu’il n’y ait une bonne raison à ce manque d’attention, à moins que ce ne soit le bon timing pour rencontrer Chiara pour qu’elle me donne une adresse. L’avenir me le dirait.
L’auberge de jeunesse ne payait pas de mine, un rat se promenait dans la cours, le matelas du lit était concave, mais il y avait des douches et de l’eau chaude et chose exceptionnelle, une fenêtre dans la chambre. La gérante, péruvienne comme il se doit, était à sa cuisine préparant le repas du soir pour ses voyageurs. Au menu : Caldo (bouillon) de pâtes, puis riz accompagné d’épinards. Nous étions 3 voyageuses à partager le repas autour de « Mamy » notre logeuse, comme l’appelait familièrement Chiara sans la connaitre plus que moi.
A moins de 25 ans Chiara, originaire d’Italie, venait vivre au Pérou et voulait changer le monde. Elle était toute fraiche, ses cheveux frisés lui tombaient en cascade sur les épaules et son sourire rayonnant aurait pu allumer une ampoule, un réverbère ou même une étoile. Curieuse de tout elle questionnait mamy sur son mode de vie et les coutumes du pays. C’est ainsi que nous apprîmes que bien des familles dans les montagnes avaient jusqu’à 18 enfants. Elle-même était issue d’une grande fratrie dont seulement 4 avaient survécus jusqu’à ce jour et que son devoir était de veiller sur les siens. Émue aux larmes, elle nous raconta ensuite que dans un village là-haut des jeunes filles de 15 ou 16 ans à peine étaient engrossées à tour de bras dans le but de créer de la main d’œuvre pour la tonte des lamas. Ainsi donc les fameuses couvertures d’Alpagas qui me tenaient chaud la nuit dans les hostels de backpackers, étaient entachées de la violence des hommes qui battaient leurs femmes si leur rendement utérin ne correspondait pas à la demande…
Bien que mon espagnol soit correct, j’eus du mal à suivre la conversation. Si bien des choses sont spartiates au Pérou, la télé ou la radio ne manquent jamais de fonctionner toutes les heures du jour voir de la nuit où que vous alliez, même dans les coins reculés. Il me semblait que le monde entier faisait du bruit comme pour éviter de s’entendre penser ou juste d’écouter les oiseaux chanter. Chiara, elle qui voulait changer le monde, déclarait que c’était pour cela qu’elle était ici ; pour rendre la vie des gens meilleurs. Elle le changera surement le monde ! A sa façon. En interférant peut être dans ce village pour libérer les femmes de leur reproduction abusive, et d’ici deux générations, nos petits-enfants parleront avec nostalgie de ce temps où, dans un village lointain, on tondait les lamas à l’ancienne, oubliant dans la nuit du temps la sauvagerie de l’humain, en faveur de notre romantisme à deux balles.
Nous les Hommes, nous embellissons sans cesse le passé. Un passé souvent entaché de sang à l’image du petit Jésus agonisant sur sa croix comme on en trouve partout ici. Juste pour aujourd’hui, j’aurais voulu faire en sorte de ne pas laisser de trace, ni même celle de mes pas, ou que cette trace soit infime, mais belle.
Au petit matin, j’allais vaquer sur la place du village bordée de géraniums rouges. Je pris tout le temps de ne rien faire du tout dans le silence, jusqu’à ce qu’il me prenne une furieuse envie d’écrire et de créer. Puis je repris mon sac à dos pour me rendre à Coshnirwa où j’avais lu quelque part que Danilo, expert en plantes, soignait tout le canyon depuis des décennies. J’allais à sa rencontre.
Je ne trouvais personne dans la cours de l’auberge, ni à ce qui devait être la réception. J’attendis puis hélais en espérant que quelqu’un réponde. Enfin quelqu’un répondit. Un grommellement plus qu’une réponse émanait de derrière une sorte de pièce faite de bambous. C’était la cuisine. Derrière une bonne centaine de mouches un homme me marmonnait quelque chose dans une langue que je ne compris pas. Peut-être du Quechua. Je tentais de converser avec lui à travers les bambous en lui demandant s’il connaissait Danilo et s’il allait bientôt revenir. L’homme semblait me comprendre mais lui parlait comme s’il avait eu avalé un litre de Pisco (boisson alcoolisée nationale) au petit déjeuné. Je lui dis que j’allais attendre que quelqu’un d’autre revienne, que j’étais navée, je ne le comprenais pas. J’attendis un peu plus loin. Il revient me parler. Cette fois sorti de sa cuisine et debout, je voyais un homme aux membres déformés, plus rien en lui n’était vraiment droit. Un couple en moto arriva. La femme lui adressa la parole en l’appelant par son prénom…Danilo ! Qu’est ce qui avait bien pu faire qu’un homme réputé dans toute la région pour sa médecine naturelle en arrive lui-même à être malade à ce point ? Que fallait-il vivre pour être en harmonie et en santé toute sa vie durant ? J’étais convaincue que c’était possible, mais comment ? Avait-il manqué de conscience ? La solution était forcément simple, mais on ne la voit pas.
Je repartis cette fois en direction de Tapay. Un village tout près mais perché tout là-haut sur la montagne. 2h bonnes heures de grimpette sur la falaise. A vrai dire je n’aime pas marcher. En descente les genoux encaissent, les pieds roulent sur les cailloux, chaque pas demande une attention particulière, en montée j’ai le palpitant qui palpite un peu trop justement. Mais j’aime le chemin, les surprises qu’il dévoile à chaque tournant, l’absence de bruit. Le temps où je m’arrête n’est jamais assez long à mon gout ; je peux passer des heures à regarder le paysage en écoutant les oiseaux. Je revois les glissements de terrain, les érosions. Je touche les pierres noires et saillantes, les rouges qui jouxtent celles qui font penser à de l’or, je parcours du regard les bras des cactus qui se tordent vers le soleil, j’utilise les épineux comme cure dent, l’argile du rio en masque pour mes cheveux, les rochers comme dossier, l’herbe comme coussin, le vent pour caresse et fini par en oublier le poids de mon sac à dos et les douleurs de mes jambes. Je n’ai jamais faim et rarement soif. J’ai bien essayé de manger une barre de céréale mais ça ne passe pas. Manger en randonnée, c’est comme vouloir fumer en faisant l’amour, ça ne va pas très bien ensemble quel que soit le plaisir qu’on éprouve pour chacun. Même une fois arrivée à destination il me faut me forcer à manger quelque chose, mais j’ai bien du mal à terminer mon assiette alors qu’en ville et sans effort physique je ne ressens pas la même chose. Je peux dire que là-haut je suis bien, très bien même !
A Tapay je découvris que les villageois parlaient tous le quechua, les anciens ne comprennent même pas l’espagnol. Peu de randonneurs s’aventurent jusqu’ici tant le sentier pour y monter est vertigineux et escarpé. Il n’y a qu’une seule auberge tenue par un couple au sens des affaires très développé. De manière générale (sauf exception bien entendu) les péruviens ne sont pas très sympathiques avec les étrangers. Ils sont sympathiques avec l’argent. Ils n’ont que faire de partager un moment avec vous, ce qui compte c’est qu’en échange du service qui vous est rendu vous en lâchiez le plus possible. Ainsi selon votre âge, votre tête, leurs besoins, une bouteille d’eau peut passer de 2 à 10 soles, la chambre de 16 à 36, le repas de 10 à 25 soles. Ici tout était net, propre, joli même à ma grande surprise. Lui, lavait le linge dans une bassine pendant qu’elle coupait au couteau le carré d’herbes de la cours. Au repas j’aurais à nouveau une soupe de pâtes avec quelques morceaux de viande particulièrement doux et tendres dont la saveur et la texture font penser à quelque chose entre le lapin et le poulet. Puis du riz blanc avec une purée de patates douces. Au matin je découvrirais les cochons dindes derrière la cuisine…les fameux morceaux de viande particulièrement doux et tendres !
Toujours en montant encore se trouvent les ruines incas. Passé un certain col il n’y a plus de sentier. De là on découvre le canyon de part en part. Le lever de soleil y est magique. Il éclaire peu à peu chaque versant et révèle les couleurs incroyables des roches et les plis de la montagne, tel un drap un peu froissé à peine posé sur une belle endormie. J’attendis les condors au coucher comme au levant. Mais les vents n’étant pas favorables, je ne vis que quelques oisillons qui apprenaient à voler.
Le lendemain je décidais de revenir sur mes pas pour me rendre à LLahuar que j’avais raté à l’aller (voir le récit Cabanaconde / LLahuar) et délasser mes jambes dans les sources chaudes avant de quitter le canyon. En soit, Sangalle ne m’intéressait pas puisqu’il s’agissait d’une oasis et que c’est elle qui attirait tous les touristes ; Fure ne me disait plus rien. Trop loin, top abrupte, trop dur. J’en avais déjà fait plus que je n’aurais cru, je n’avais pas fait de chute stupide, je n’étais pas blessée, je pouvais m’arrêter là. Sauf que Llahuar allait me mettre face à moi-même et ré ouvrir chez moi une blessure profonde.
(La suite demain…)
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